Consommant régulièrement du contenu féministe, notamment des podcasts, je suis toujours déçu de voir que beaucoup de militantes et militants ne sont présents en ligne que sur des plateformes comme Instagram ou X, qui sont ouvertement disciminantes, voir fascistes.

J'ai donc pris le temps de rédiger un courriel, reproduit ci-dessous, que j'ai adressé à plusieurs rédactions afin de les sensibiliser à l'impact des outils informatiques qu'elles utilisent.


Bonjour,

Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour la qualité et la diversité des sujets traités par votre podcast que j'écoute assidûment depuis maintenant plusieurs années.

Comme beaucoup de vos auditeurices, je suis tout particulièrement sensible à l'écologie et au féminisme. Il est clair que ces deux causes ont un certain nombre de points communs, notamment dans leurs démarchent d'émancipation envers un système qui favorise l’oppression. Il n'est donc pas surprenant d'entendre parler d'éco-féminisme. Cependant, étant ingénieur en sécurité informatique et militant de longue date pour une émancipation des outils informatiques vis-à-vis du monopole des "Big Tech" (Google, Meta, Amazon...), je regrette de constater que la cause éco-féministe repose majoritairement sur l'utilisation de plateformes allant à l'encontre des valeurs du mouvement.

Pour donner un exemple concret, l'utilisation d'Instagram pour véhiculer des idées éco-féminites nécessite d'accepter les conditions d'utilisateur de Meta qui autorisent explicitement de désigner "les femmes comme des objets du quotidien ou des propriétés ou objets en général ; les personnes noires comme du matériel agricole ; désigner les transgenres ou personnes non binaires par le déterminant « ça »".

Il est certain qu'une communication militante efficace nécessite de s'adresser à un maximum de personnes, ce qui malheureusement implique de nos jours l'utilisation de plateformes qui ont clairement pris position en faveur du fascisme. Cependant, d'autres solutions existent, et je pense qu'il est nécessaire de briser les barrières qui empêchent les militants anti-fascisme de s'emparer des sujets technologiques. Je pense même que c'est primordial pour la pérennité de ces mouvements. Quelque soit la cause que l'on veut défendre, dans nos sociétés actuelles, il est impossible de la faire exister au-delà d'une échelle très locale sans outils numériques. Et ne pas avoir le contrôle sur nos outils de communication, c'est prendre le risque de perdre notre droit de parole.

Là encore, pour donner un exemple concret, Karim Khan, le principal procureur de la Cour Internationale de Justice (CIJ), a perdu l'accès à ses e-mails à la suite des sanctions de l'administration Trump envers l'institution car la CIJ utilise Microsoft Outlook.

Comme je le disais, des solutions existent. Par exemple, pour les réseaux sociaux, il y a ce que l'on appelle le "fédivers". Je vous invite à regarder la vidéo d'Elena Rossini sur le sujet. C'est une réalisatrice italienne féministe vivant en France et qui milite pour l'utilisation d'outils numériques plus éthiques. Sa principale raison est simple : sa fille de 4 ans va un jour se mettre à son tour à utiliser des réseaux sociaux, et elle souhaite qu'elle puisse avoir accès à des outils qui sont conçus pour la servir et non pas pour l'asservir.

Il est probable que ces sujets soient nouveaux pour vous, et je sais que le changement demande du temps. Mon but n'est pas de vous noyer sous des tonnes d'informations, mais de vous alerter afin que vous puissiez explorer le sujet à votre rythme. Idéalement, vous pourriez y consacrer un épisode pour alerter à votre tour sur les dangers que pose la dépendance aux "Big Tech".

Je reste bien sûr à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, et je vous souhaite une bonne continuation.

Cordialement,

Paul-Emmanuel Raoul